La co-construction d’une offre logistique plus durable est-elle possible ? Et quels sont les défis auxquels elle est confrontée ? Réponses avec Olivier Poncelet (délégué général de l’Union TLF) et Denis Choumert (président de l’AUTF)
Des chargeurs aux transporteurs les organisations les plus représentatives du secteur échangent en exclusivité pour le SITL Daily leurs points de vue sur l’actualité et l’avenir de la logistique en France.
Comment les organisations du secteur collaborent-elles pour construire une logistique plus efficace et durable en France ?
Olivier Poncelet : L’Union TLF et l’AUTF sont membres fondateurs de France Logistique, qui réunit l’ensemble des acteurs privés de la chaîne logistique pour renforcer la compétitivité de la chaîne logistique française. Cette association permet de porter une vision globale de la filière sur des sujets transverses afin de faire de notre filière l’une des plus attractives à l’échelle européenne.
De nombreuses initiatives sont également menées en commun entre l’Union TLF et d’autres organisations comme France Urbaine, par exemple, notamment dans le cadre des Zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m). L’objectif, c’est d’améliorer la lisibilité de la règlementation pour les professionnels, d’assurer la cohérence règlementaire et technologique, d’harmoniser le cadre des dérogations et de permettre la circulation des véhicules en Crit’Air 2 jusqu’en 2030 dans les différentes métropoles. Au-delà des ZFE, l’Union TLF travaille avec les collectivités locales et l’ensemble des acteurs économiques sur les défis de la logistique urbaine.
Denis Choumert : Nous faisons partie de l’association France Logistique mais nous sommes également partie prenante, avec d’autres fédérations de transport routier, de deux programmes qui visent à réduire l’empreinte carbone du transport de marchandises et de la logistique en France : le programme EVE et le plus récent programme REMOVE. Ces deux programmes sont conçus pour que les chargeurs, les commissionnaires et les transporteurs utilisent les leviers à leur disposition pour réduire leur empreinte carbone et favoriser la mutualisation, le report modal, la massification des flux, etc. Ces cadres-là nous donnent des possibilités de collaboration qui doivent bien sûr être diffusées par la suite dans les entreprises de nos différentes fédérations. Ce type de collaboration se révèle assez efficace parce que c’est de l’opérationnel.
Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés dans ce processus de collaboration ?
D.C. : La limite, c’est la capacité à faire sortir des données des différents systèmes d’entreprise. Pour moi, c’est cette capacité et cette volonté de partager des données qui constituent aujourd’hui le principal frein à l’optimisation globale du système logistique français. On voit des collaborations entre un chargeur et des prestataires mais encore trop rarement des collaborations entre chargeurs ou entre commissionnaires. C’est un frein parce que personne, aujourd’hui, pas même l’Etat, n’a la capacité de délivrer des données qui permettraient de se projeter et de voir ce qui va se passer dans le futur en termes d’évolution des besoins logistiques.
L’autre limite de la collaboration, c’est qu’elle doit tenir compte des infrastructures existantes, notamment sur le ferroviaire. C’est une énorme machine qui a du mal à se moderniser avec un réseau qui est vieillissant, surtout pour le fret, malgré les dizaines de milliards d’euros injectés par l’État depuis quelques années.
Comment accompagnez-vous vos membres sur le terrain de la transition énergétique ?
O.P. : En participant activement au débat public/privé, l’Union TLF porte les ambitions de ses adhérents en matière de transition énergétique. Afin d’apporter un soutien opérationnel à nos adhérents, nous publions également des guides pratiques, que ce soit sur la logistique ferroviaire, sur l’installation d’infrastructures de recharge de véhicules électriques…
Parallèlement, différents outils ont été mis à la disposition de nos adhérents. Un site internet dédié, « Terre TLF » a été mis en place pour accompagner les professionnels qui souhaitent accélérer la transition énergétique de leur activité et investir dans des véhicules à énergie alternative. Enfin, une nouvelle commission « intermodalité » a été créée en novembre 2023 afin de traiter des enjeux spécifiques comme le report modal, le transport combiné rail-route ou fleuve-route…
Du côté de l’AUTF, ce soutien passera-t-il par un accompagnement en faveur des véhicules à faible émission ?
D.C. : Nous faisons la promotion de tous les biocarburants, tout en sachant que l’horizon de leur disponibilité pour le transport routier est limité, parce que la biomasse disponible est limitée mais aussi parce que les utilisateurs potentiels seront nombreux dans l’aérien ou le maritime, et ces secteurs seront un petit peu favorisés car ils ne peuvent pas avoir recours à l’électrique comme le routier.
Du côté du routier électrique, justement, nous avons fait récemment une proposition au gouvernement pour associer les chargeurs à une partie du financement des camions électriques car l’obstacle principal reste le coût d’acquisition de ces camions qui coûtent trois ou quatre fois plus cher que les camions diesel. L’État a dépensé à peu près 70 millions d’euros en 2023 et il est prévu qu’il en dépense 130 millions en 2024 pour financer l’acquisition de ces camions électriques. Mais personne ne peut être assuré que ces dépenses seront effectives en ces temps d’économies budgétaires.
Quels sont pour vous les principaux enjeux réglementaires et politiques dans le domaine de la logistique ?
O.P. : Notre secteur fait face à un défi de compétitivité : la France est 13e au classement LPI, qui mesure la performance logistique des différents pays. La règlementation française pénalise notre pays par rapport à ses concurrents européens. En effet, la fiscalité française sur le gazole professionnel est d’ores et déjà l’une des plus élevées d’Europe. La France fait partie des quatre pays qui taxent le plus les usages commerciaux du gazole ! La règlementation Zéro artificialisation nette (ZAN) engendre également une pénurie du foncier logistique qui pénalise la compétitivité. Enfin, la mise en place d’écotaxes régionales pèsera principalement sur les transporteurs locaux et risque de générer un imbroglio pour les transporteurs qui se déplacent d’une région à l’autre.
La transition énergétique constitue aussi un défi majeur. Pour l’Union TLF, les leviers de la transition concernent autant le verdissement des flottes de véhicules que le verdissement du fret (meilleures implantations logistiques, report modal).
D.C. : « Quels efforts font la France et l’Europe sur le ferroviaire ? » : pour moi, c’est ça le principal enjeu réglementaire et politique des deux prochaines années. Si cela ne va pas assez vite et assez profondément, si les entreprises et les chargeurs ne sont pas rassurés sur ce qui peut se passer dans 5 ou 10 ans, et si la flotte de camions électriques grandit dans le même temps, le risque est grand que l’on se retrouve avec 80 camions électriques au lieu d’avoir un train pour transporter des marchandises, même si cela consomme plus d’énergie.
Quelles sont les opportunités à saisir pour renforcer la compétitivité et la durabilité de la chaîne logistique française ?
O.P. : La mise en place d’un schéma directeur du foncier logistique national constitue une opportunité pertinente. Le schéma national devrait identifier l’espace foncier à préserver pour la logistique tout en permettant des flux interrégionaux écologiques. En partant réellement des besoins, cette planification aurait un impact environnemental concret, en facilitant l’implantation d’entrepôts aux barycentres des flux, en rapprochant les entrepôts de desserte urbaine des centres-villes et en installant des entrepôts dans des lieux rendant le report modal possible.
D.C. : Dans le domaine routier, je pense que l’opportunité est dans une meilleure collaboration pour mieux remplir les camions, surtout s’ils sont un peu plus lourds. Il faut éviter qu’il y ait une utilisation massive de véhicules légers. Le risque avec la logistique urbaine, c’est d’interdire les gros camions pour telle ou telle raison, et de se retrouver avec des flottes énormes de véhicules légers qui font le dernier kilomètre !
Mais cette meilleure collaboration suppose que l’on s’interroge sur nos modes de consommation et de fonctionnement. Pourquoi se faire livrer en 24 heures et pas en 72 heures ? Pourquoi ne pas faire des entrepôts mutualisés où, justement, on partage l’entreposage et la livraison finale ? Encore une fois, cela passe beaucoup par le partage des données et l’anticipation, l’idée étant de mutualiser le plus possible.
L’Union TLF, la voix des acteurs du transport et de la logistique
L’Union des entreprises de Transport & Logistique de France (TLF) est la principale organisation professionnelle de représentation pour l’ensemble des métiers de la chaîne “transport et logistique”. Son objectif : représenter, promouvoir et défendre les intérêts de la profession auprès des pouvoirs publics et des instances françaises, européennes et internationales. Au niveau local, l’Union TLF a l’avantage de pouvoir agir à travers ses huit délégations régionales. L’existence de 14 commissions thématiques et 3 conseils métiers spécialisés lui permettent de mieux faire valoir son expertise auprès de ses interlocuteurs.
L’AUTF, la voix des chargeurs
L’association des utilisateurs de transport de fret (AUTF) a vocation à représenter « l’ensemble des entreprises qui ont des marchandises à faire transporter dans tous les modes de transport (routier, ferroviaire, fluvial, maritime ou aérien) ». Cette représentation s’inscrit dans « une démarche globale d’amélioration de la performance économique et environnementale des chaînes logistiques au service de la compétitivité des entreprises et de l’attractivité du territoire ». L’AUTF indique en outre porter aujourd’hui la voix de « plus de 150 grands groupes et entreprises et 30 fédérations sectorielles ».
EVE et REMOVE : de quoi parle-t-on ?
- Financé par le dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE), le programme d’Engagements Volontaires pour l’Environnement (EVE) accompagne les acteurs de la chaîne logistique dans leur politique de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre et de polluants. Il se décline en trois dispositifs : Fret 21 pour les chargeurs, EVCOM pour les commissionnaires et Objectif CO2 pour les transporteurs routiers.
- Créé fin 2022, REMOVE est un autre programme CEE qui vise à accélérer le report modal de la route vers les modes de transport massifiés fluviaux, ferroviaires et maritimes. REMOVE vise également à accompagner l’amélioration des performances énergétiques et environnementales des flottes de transport massifiées ainsi que des moyens de manutention associés.
Photo Denis Choubert : © Thierry Foulon – SITL
Logistics, today and tomorrow
Is it possible to co-construct a more sustainable logistics offering? What are the challenges to overcome? Olivier Poncelet (General Delegate of Union TLF) and Denis Choumert (President of AUTF) provide answers
From shippers to hauliers, the most representative organisations in the sector discuss their views on the latest developments and the future of logistics in France with SITL Daily.
How are organisations in the sector working together to build more efficient and sustainable logistics in France?
Olivier Poncelet: Union TLF and AUTF are founding members of France Logistique, which brings together all the private players in the logistics chain to strengthen the competitiveness of the French logistics chain. This association makes it possible to bring a global vision of the sector to bear on cross-cutting issues in order to make our sector one of the most attractive in Europe.
Union TLF and other organisations, such as France Urbaine, have also joined forces on a number of initiatives, notably in the context of the Low Emission Mobility Zones (ZFE-m). The aim is to make the regulations clearer for professionals, to ensure regulatory and technological consistency, to harmonise the framework for exemptions and to allow Crit’Air 2 vehicles to circulate until 2030 in the various cities. In addition to the ZFEs, Union TLF is working with local authorities and all the economic players on the challenges of urban logistics.
Denis Choumert: We are part of the France Logistique association, but we are also involved, along with other road transport federations, in two programmes aimed at reducing the carbon footprint of freight transport and logistics in France: the EVE programme and the more recently launched REMOVE programme. These two programmes are designed to enable shippers, freight forwarders and hauliers to use the levers at their disposal to reduce their carbon footprint and encourage pooling, modal shift, massification of flows, etc. These frameworks provide us with opportunities for collaboration that must of course be disseminated to the companies in our various federations. This type of collaboration is proving to be quite effective because it’s operational.
What are the main challenges you face in this collaborative process?
D.C.: The limit is the ability to get data out of different company systems. In my view, it’s this ability and willingness to share data that is currently the main obstacle to the overall optimisation of the French logistics system. We see collaborations between shippers and service providers, but still too rarely collaborations between shippers or between freight forwarders. This is an obstacle because no one today, not even the government, has the capacity to deliver data that would enable us to project and see what is going to happen in the future in terms of changes in logistics needs.
The other limitation of collaboration is that it has to take account of existing infrastructure, particularly rail infrastructure. It’s a huge machine that’s having trouble modernising, with an ageing network, especially for freight, despite the tens of billions of euros injected by the State over the last few years.
How are you supporting your members in the energy transition?
O.P.: By participating actively in the public/private debate, Union TLF supports its members’ ambitions in terms of energy transition. In order to provide operational support to our members, we also publish practical guides, whether on rail logistics or the installation of electric vehicle recharging infrastructures…
At the same time, various tools have been made available to our members. A dedicated website, “Terre TLF”, has been set up to support professionals who want to accelerate the energy transition in their business and invest in alternative energy vehicles. Finally, a new “intermodality” commission was set up in November 2023 to deal with specific issues such as modal shift, combined rail-road or river-road transport, etc.
For AUTF, does this support include support for low-emission vehicles?
D.C.: We are promoting all biofuels, although we are aware that their availability for road transport is limited, because the biomass available is limited but also because there will be many potential users in the air and maritime sectors, and these sectors will be favoured to some extent because unlike road transport they cannot use electric power.
As far as electric trucks are concerned, we recently made a proposal to the government to involve shippers in part of the financing of electric trucks, because the main obstacle remains the acquisition cost of these trucks, which are three or four times more expensive than diesel trucks. The government spent around €70 million in 2023 and is expected to spend €130 million in 2024 to finance the purchase of these electric trucks. But no one can be sure that this will actually take place in these times of budget cuts.
What do you see as the main regulatory and political challenges in the logistics sector?
O.P.: Our sector is facing a competitive challenge: France is 13th in the LPI rankings, which measure the logistics performance of different countries. French regulations put us at a disadvantage compared with our European competitors. In fact, French taxation on commercial diesel is already one of the highest in Europe. France is one of the four countries that tax commercial diesel the most! The Zero Net Artificialisation (ZAN) regulation is also creating a shortage of logistics land, which is penalising competitiveness. Lastly, the introduction of regional eco-taxes will mainly weigh on local hauliers, and risks creating an imbroglio for hauliers moving from one region to another.
The energy transition is also a major challenge. For Union TLF, the levers of transition concern both the greening of vehicle fleets and the greening of freight (better logistics locations, modal shift).
D.C.: “What efforts are France and Europe making on rail?” For me, that’s the main regulatory and political challenge for the next two years. If things don’t go fast enough and deep enough, if companies and shippers aren’t reassured about what might happen in 5 or 10 years’ time, and if the fleet of electric lorries grows at the same time, there’s a big risk that we’ll end up with 80 electric lorries instead of having a train to transport goods, even if it consumes more energy.
What opportunities can be seized to boost the competitiveness and sustainability of the French logistics chain?
O.P. : The introduction of a national logistics land master plan is a relevant opportunity. The national plan should identify the land space that needs to be preserved for logistics, while at the same time enabling environmentally-friendly inter-regional flows. By really taking needs into account, this planning will have a concrete environmental impact, by facilitating the establishment of warehouses at the barycentres of flows, by bringing urban service warehouses closer to town centres and by setting up warehouses in locations that make modal transfer possible.
D.C.: As far as road transport is concerned, I think the opportunity lies in working together to fill lorries better, especially if they are a bit heavier. We need to avoid massive use of light vehicles. The risk with urban logistics is to ban large lorries for one reason or another, and end up with huge fleets of light vehicles doing the last mile!
But if we are to work together more effectively, we need to look at the way we consume and operate. Why get delivery in 24 hours instead of 72? Why not set up shared warehouses where warehousing and final delivery are shared? Once again, a lot depends on data sharing and anticipation, the idea being to share as much as possible.
Union TLF, the voice of transport and logistics players
The union transport & logistics companies of France (TLF) is the main professional representative organisation for all trades in the transport and logistics chain. Its aim is to represent, promote and defend the interests of the profession in dealings with public authorities and French, European and international bodies. On a local level, Union TLF has the advantage of being able to act through its eight regional delegations. The existence of 14 thematic commissions and 3 specialised trade councils enables it to better demonstrate its expertise to its interlocutors.
AUTF, the voice of shippers
The association of freight transport users (AUTF) aims to represent “all companies that have goods to transport by all modes of transport (road, rail, river, sea or air)”. This representation is part of “a global approach to improving the economic and environmental performance of logistics chains, to enhance the competitiveness of companies and the attractiveness of the region”. AUTF also states that it currently represents “more than 150 major groups and companies and 30 industry federations”.
What are EVE and REMOVE?
- Financed by energy saving certificates (CEE), the Voluntary Commitments for the Environment (EVE) programme supports players in the supply chain in their policy to reduce their greenhouse gas and pollutant emissions. It comprises three schemes: Fret 21 for shippers, EVCOM for freight forwarders and Objectif CO2 for road hauliers.
- Created at the end of 2022, REMOVE is another EEC programme aimed at accelerating the modal shift from road to river, rail and maritime modes of mass transport. REMOVE also aims to support improvements in the energy and environmental performance of bulk transport fleets and associated handling equipment.